« La voix de l’expérience est l’outil le plus puissant qui soit pour combattre la discrimination »
Zoe est une jeune femme autiste, originaire du Royaume-Uni, qui a été victime d’exploitation sexuelle dans son enfance. Activiste expérimentée, elle axe son travail sur la protection des filles et des enfants vulnérables face à l’exploitation sexuelle. Elle fait également partie des pionniers du projet REIGN, une initiative basée sur le principe que « la voix de l’expérience est l’outil le plus puissant qui soit pour lutter contre la discrimination ».
« J’ai grandi en voulant rencontrer d’autres personnes comme moi mais je n’ai pas eu accès à une communauté capable de comprendre ma façon d’être ni de me considérer autrement que brisée ». Zoe est elle-même autiste et a été victime d’exploitation sexuelle dans son enfance. Elle explique à Autisme-Europe la raison qui l’a poussée à devenir une activiste dans le domaine de l’exploitation sexuelle des enfants : « J’ai été scandalisée de constater que la majorité de mes amies autistes avaient été abusées sexuellement étant enfants et que beaucoup d’entre elles ont été impliqué dans la prostitution pour survivre, n’ayant pas d’opportunités d’emploi, ni d’amis pour les soutenir. »
Lorsqu’elle a commencé à travailler dans la communauté autistique, Zoe était chargée d’administrer les groupes de soutien en ligne, d’organiser des rencontres hors ligne entre femmes ou mixtes, et d’organiser les « Autistic Pride Events » (Journées de la Fierté Autistique) dans sa ville. Connecter les gens entre eux est ce qu’elle préfère faire au sein de la communauté autistique. « J’avais commencé à parler ouvertement de mon passé, du manque de soutien et de compréhension auquel j’avais dû faire face en grandissant et des répercussions que cela a eu sur ma vie et mon bien-être mental. Je ne voulais pas que quelqu’un se sente isolé ou que ses besoins ne soient négligés comme cela a été le cas pour moi alors, tout en continuant d’organiser les rencontres entre personnes autistes, j’ai commencé à faire campagne avec d’autres activistes et représentants de l’autisme pour défendre les droits des autistes et promouvoir leur acceptation dans la société. »
Le projet REIGN
En 2016, Zoe a lancé le projet REIGN, à Manchester (Royaume-Uni), aux côtés de trois autres jeunes femmes qui, comme elle, ont été victimes d’abus sexuel dans leur enfance. Ce projet est placé sous la houlette de RECLAIM, une plateforme caritative qui, depuis 2007, vise à identifier et à soutenir les jeunes leaders des milieux moins favorisés par le biais de différents projets et programmes. « Nous voulons être ces personnes dont nous avions besoin quand nous étions plus jeunes et nous souhaitons passer le flambeau à un nouveau groupe d’anciennes victimes qui souhaitent poursuivre notre travail. Nous plaidons également pour l’amélioration des lois et politiques qui ont trait à la protection de l’enfance pour que la prévention contre l’exploitation sexuelle des enfants devienne une priorité à travers le Royaume-Uni et l’Europe », explique-t-elle.
REIGN fournit formation et consultance aux autorités et aux services de première ligne, notamment les assistants sociaux, la police, les écoles et les services de placements sur la façon d’identifier et de prévenir l’exploitation sexuelle des enfants. « Je crois qu’il est surtout important que ces services entendent directement des survivants de l’exploitation sexuelle comment ils pourraient devenir plus efficaces et quelles sont les difficultés potentielles auxquelles personne ne songe » indique-t-elle. REIGN se rend dans les écoles et mène des campagnes pour sensibiliser à l’exploitation sexuelle des enfants et développer un sens de responsabilité dans la communauté.
REIGN cible tous les enfants, indépendamment de leur genre, leurs origines, leur race, leur classe sociale ou leur handicap. Le collectif est constitué de personnes d’horizons différents, dont chaque membre est parfaitement conscient que l’exploitation sexuelle résulte souvent de l’intersection de multiples facteurs de discrimination. Les quatre collaboratrices sont déterminées à pallier aux manquements d’un système qui les a tenues à l’écart lorsqu’elles étaient enfants. « Pour moi, le manque de compréhension face à mes problèmes neurologiques a joué un rôle déterminant dans les abus sexuels dont j’ai été victime et m’a empêché d’obtenir le soutien et la protection dont j’avais besoin. »
La sensibilisation et l’inclusion sociale contre les abus
Dans le cas spécifique des enfants autistes, Zoe souligne le fait que de nombreux symptômes de traumatismes psychologiques peuvent être confondus avec les traits de l’autisme. « Un enfant peut s’enfuir constamment d’une maison où il subit des abus sexuels, il peut devenir agressif, régresser ou avoir un comportement sexuel inapproprié. Ce sont les signes classiques d’un enfant victime d’abus mais que l’on peut aussi facilement confondre avec les signes de l’autisme et risquer de les ignorer. »
Certains adultes peuvent penser que leur enfant autiste ne risque pas d’être abusé sexuellement parce qu’il n’a ni l’indépendance, ni la capacité ni le désir d’avoir des relations sexuelles. « Ces affirmations sont souvent très éloignées de la vérité mais les parents ne savent pas vraiment ce qui se passe dans la tête de leur enfant. Cette ignorance est à l’origine d’une baisse de vigilance en termes de protection. Les adultes autistes peuvent se souvenir de la façon dont ils appréhendaient le monde étant enfants et sont les personnes les plus compétentes pour informer les parents et les professionnels sur l’expérience autistique.
En outre, un enfant autiste peut avoir une moins bonne compréhension de ce qui est socialement acceptable, il peut ne pas avoir le sens du danger ni des limites personnelles, ce qui l’empêche de reconnaître un abus sexuel. REIGN fournit des stratégies individualisées, afin de développer cette prise de conscience chez l’enfant et l’aider à se protéger des abus. De nombreuses thérapies de l’autisme incitent l’enfant à respecter les demandes de l’adulte en le récompensant. C’est aussi de cette manière que les abuseurs arrivent à entraîner les enfants dans l’exploitation sexuelle. Les enfants autistes qui ont suivi des thérapies comportementales axées sur l’obéissance à l’adulte sont des cibles très faciles parce que l’étape est à moitié franchie. Ces thérapies impliquent de toucher ou tenir l’enfant contre son gré jusqu’à ce qu’à ce que son comportement se normalise. Il est fondamentalement important d’apprendre l’autonomie du corps et le droit de dire non à tous les enfants, surtout aux enfants autistes ».
Zoe souligne également que « tout le monde s’accorde à penser que les personnes autistes n’ont pas de sexualité ni de désir d’être aimé ou inclus dans la société alors que généralement, les enfants se retrouvent dans des situations d’exploitation sexuelle parce qu’ils veulent ou ont besoin, justement, de l’amour ou de l’acceptation que peut leur offrir leur abuseur. Et c’est encore plus facile si l’enfant ne reçoit rien de tout cela ailleurs, par exemple, à l’école, à travers ses amis.
Campagne « Identity-first Autistic »
En 2015, Zoe a lancé la campagne « Identity-first Autistic » pour sensibiliser aux répercussions du langage utilisé dans le contexte de l’autisme et du handicap sur les attitudes sociales, appelant à préférer le langage direct (Identity-first language), comme le souhaite la majorité de la communauté autistique au Royaume-Uni. « Je préfère être appelée autiste ou personne autiste plutôt que personne avec autisme ou sur le spectre de l’autisme. Nous affirmons haut et fort que l’autisme n’est pas une injure. Il fait partie intégrante de nous et nous pouvons être de fiers et parfaits autistes, non des versions ratées des neurotypiques ».