« Quels que soient les défis auxquels tu fais face, tes rêves en valent la peine »
En un mois, Abby a parcouru 400 km à pieds autour du Mont Kenya, où elle a pris la parole lors de 5 événements publics afin d’expliquer les défis et opportunités liés à l’autisme à plus de 500 parents, professionnels, enseignants et aidants. Son futur projet consiste à effectuer une randonnée de 2000 km en l’espace de 4 mois à travers le Kenya, où le niveau de compréhension et de soutien vis-à-vis des personnes autistes est très faible, ce qu’elle espère changer grâce à ses actions et témoignages. Abby est née à Nairobi. Elle a été diagnostiquée autiste Asperger à l’âge de 13 ans alors qu’elle vivait en Angleterre, où elle était scolarisée.
Autisme-Europe : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’initiative « Autism Walking » ?
Abby Brooke : C’est un projet de sensibilisation, d’acceptation, de compréhension et de soutien pour l’autisme, qui consiste à entreprendre une marche. La marche, c’est ma façon de méditer, je dirais. Je marche avec des chameaux, pour porter mes bagages. La marche, c’est ma façon personnelle d’aborder le thème de l’autisme, et c’est quelque chose qui me tient à cœur. Marcher et rencontrer des gens en vrai plutôt que de me rendre simplement quelque part avec un moyen de locomotion. Les gens me demandent « Que faites-vous ? », « Pourquoi faites-vous cela ? ». Je rencontre tellement de gens. Pas seulement dans les ateliers mais aussi sur la route.
Je marche avec trois chameaux. Deux hommes m’ont accompagnée pour m’aider à gérer les animaux et le transport des bagages et pour me tenir compagnie. Parfois des gens marchaient avec nous le temps d’un week-end, parfois tout le temps.
AE : Quel est le plus grand impact que vous avez eu jusqu’ici en matière de sensibilisation ?
AB : J’aide les gens. Lorsque nous étions en montagne, à mi-parcours, des gens sont venus de loin, à ma rencontre, pour me dire : « Nous savons ce que vous faites. Pouvez-vous nous aider ? Pourriez-vous nous donner l’adresse d’un centre de dépistage précoce dans telle région ? » Donc, en faisant simplement ce que je peux pour aider, je pense que cela a de l’impact.
Aux parents qui le demandent, je donne de petits conseils sur ce qu’ils peuvent faire. Le soir, des personnes qui m’ont accostée pendant la randonnée viennent vers moi et me disent : « Tu as besoin d’un endroit pour dormir, viens avec nous ». Ainsi nous pouvons discuter plus longuement des différentes façons d’aider, de ce qu’il est possible de faire, de l’importance de l’éducation et du soutien ainsi que d’autres petites choses comme la compréhension de soi, l’estime de soi, le soutien à apporter aux personnes autistes dans leurs progrès plutôt que de se focaliser sur le négatif.
AE : Quels sont vos futurs projets ?
AB : Je suis toujours à la recherche de sponsors pour ma prochaine randonnée. Cette fois, ce sera une marche de 2 000 km qui prendra 4 ou 5 mois. Dans certaines villes que je vais traverser, je serai rejointe par Autism Awareness Kenya (AAK) et SEP (Special Education Professionals), mes deux partenaires. Lors de ma dernière randonnée, ils sont venus et nous avons animé des ateliers et donné des séances d’information sur l’autisme, le handicap et l’inclusion aux diverses communautés. Il s’agissait de zones rurales qui ne reçoivent pas beaucoup de soutien, d’éducation ni de sensibilisation sur le handicap en général.
AE: Quels étaient t les thèmes abordés pendant ces ateliers et le profil des personnes qui y ont participé ?
AB : Les gens doivent être mieux informés, c’est certain, et ils doivent pouvoir mieux accepter le handicap. Nous répondons à des questions telles que « Qu’est-ce que l’autisme ? » « Comment puis-je être aidé ? », « Que peut-on faire ? » – des questions générales. Nous rencontrons un grand nombre de parents, d’enseignants et de professionnels, ce sont eux qui forment la plus grande partie de l’audience. Je suis sûre qu’il y a aussi des personnes qui pourraient être diagnostiquées et d’autres qui ignorent qu’elles sont autistes.
AE : Etes-vous en contact avec la communauté de l’autisme au Kenya ?
AB : Chez AAK, j’ai travaillé en tant que bénévole à la préparation d’événements dans le cadre de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. J’ai aussi participé à des projets de sensibilisation avec eux et SEP en parlant simplement de moi. Très peu de personnes parlent ouvertement de leur syndrome d’Asperger mais j’en connais quelques-unes. Je suis sûre que nous formons une grande communauté mais ce n’est pas un sujet de discussion. Personne ne parle vraiment de ça. En marchant, je veux créer un groupe de soutien pour les adultes Asperger. Malheureusement, on essaie tellement d’aider les enfants qu’il existe très peu de services pour adultes.
AE : A quels défis devez-vous faire face quotidiennement en tant que personne autiste ? Et, en général, quels sont les défis rencontrés par les personnes autistes au Kenya ?
AB : Il y a certaines choses que j’aurais aimé améliorer ou mieux surmonter. Il y a beaucoup de non-compréhension, c’est aussi pourquoi j’ai voulu faire quelque chose ici, pour montrer le vrai côté des choses. « Je suis une personne réelle. L’autisme, ce n’est pas ce que l’on voit dans les films comme Rainman. » Au Kenya, il y a beaucoup de stigmatisation, un grand manque d’information et la discrimination est toujours bien présente. Et bien sûr, il existe un manque de soutien. Le soutien émerge, commence à se développer. Or, malheureusement, celui-ci se base en grande partie sur le niveau de revenus de la personne tandis que la majorité des Kenyans est pauvre. Donc même si le soutien existe, ils ne peuvent pas se le permettre. Ici, le soutien est en train de se développer mais les gens ne peuvent simplement y avoir accès.
L’autisme et les autres handicaps en Afrique
Le soutien pour le handicap est encore trop peu développé en Afrique, surtout dans les zones rurales, qui sont plus pauvres et où les moyens d’éducation, de soutien et de compréhension font défaut. Souvent, un enfant né handicapé ne sera pas scolarisé. La stigmatisation et la discrimination sont très présentes dans certaines régions. De fausses croyances vis-à-vis des personnes handicapées peuvent engendrer des pratiques préjudiciables, parfois liées à la sorcellerie.
AE : Comment les médias sociaux vous ont-ils aidée à retrouver confiance en vous et à plaidoyer pour l’autisme ?
AB : Au début, l’autisme, c’était juste un mot. Je connaissais le mot «autisme», mais rien de plus… Ma mère avait des livres à ce sujet, mais ils avaient été rédigés par des médecins et des professionnels utilisant des termes négatifs. C’est après mon retour d’Australie en 2011, à l’âge de 27 ans, que j’ai vraiment voulu comprendre mon diagnostic. Jusque-là, je n’avais jamais vraiment pu « l’accepter ». Je l’ai caché et l’ai gardé secret pendant une grande partie de ma vie en raison de la stigmatisation et de la discrimination à l’encontre de la différence au Kenya. Puis j’ai rejoint quelques groupes sur les réseaux sociaux.
Je me suis fait des amis incroyables et j’ai réalisé qu’il n’y avait pas qu’une seule façon d’appréhender l’autisme, que cela formait un tout. Tout le monde ne se ressemble pas, chacun est différent. Cela ne veut pas dire qu’on peut faire ce que l’on veut. Cela signifie qu’on rencontrera des problèmes mais que justement, grâce à plus de compréhension et d’acceptation, ces problèmes peuvent s’atténuer. Il y a tellement d’auto-représentants désormais. Ce sont eux qui m’ont donné le courage de prendre la parole et de raconter mon expérience parce que chaque témoignage peut être utile. Lorsque que je cherchais à en savoir plus sur l’autisme et le syndrome d’Asperger, j’ai lu des témoignages d’autres personnes et cela m’a aidée. D’une certaine façon, je reprends le flambeau.
AE : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux autres personnes autistes?
AB : Celui d’accepter le défi, tout simplement. Pour moi, l’autisme est un défi constant, et je veux croire que je peux tout surmonter. Ma situation ne définit pas qui je suis. J’ai des problèmes mais je peux les surmonter.
Vous pouvez soutenir l’initiative d’Abby en parrainant 5, 10 ou 20 km de sa prochaine marche « Summit to Sea », une marche de 2000 km et de 5 mois au Kenya.