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RTV Slovenija s’est entretenu avec Harald Neerland, président d’AE, pour #autismday2022

À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, célébrée le 2 avril, RTV Slovenija s’est entretenue avec Harald Neerland, président d’Autisme-Europe. Neerland jouit de plus de vingt ans d’expérience dans la défense des droits des personnes autistes en Norvège dont il est originaire, et en Europe. Il est actif au sein d’Autisme-Europe depuis 2008 et est membre de son Conseil d’administration depuis 8 ans. En tant qu’ancien président de l’Association norvégienne de l’autisme, Neerland a été membre de plusieurs comités au sein du ministère de la santé.

RTV : Autisme-Europe fêtera son quarantième anniversaire l’année prochaine. Comment la perception des personnes autistes a-t-elle changé au cours de ces 40 années. Qu’est-ce qui est resté le même et doit encore être changé dans les années à venir ?

HN : Nous avons parcouru un long chemin depuis 1983 ; la communauté au sens large devient plus consciente de l’autisme et les personnes handicapées ont obtenu une meilleure reconnaissance de leurs droits, notamment depuis l’adoption de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, rédigée avec la participation d’Autisme-Europe en 2007.

En ce qui concerne l’autisme, la société est de plus en plus consciente qu’il s’agit d’un spectre dont les personnes ont des besoins de soutien très diversifiés. Nous sommes également de plus en plus conscients que l’autisme touche autant les filles et les femmes qui sont souvent sous-diagnostiquées, car elles ont tendance à mieux « masquer » leur autisme.

Cependant, dans la vie de tous les jours, les personnes autistes sont toujours confrontées à manque de compréhension concernant la manière dont leurs besoins d’accès et de soutien peuvent être pris en compte afin de favoriser leur pleine inclusion.

RTV : Quelles sont les acquis les plus significatifs réalisés par Autisme-Europe depuis sa création ?

HN : Au cours des 40 dernières années, Autisme-Europe a réalisé des avancées majeures pour les personnes autistes et leurs familles :

– Charte des droits des personnes autistes adoptée sous forme de déclaration écrite par le Parlement européen (1996) ;

– Décision historique du Conseil de l’Europe (Autisme-Europe c. France, réclamation n° 13/2002) par laquelle la France a été condamnée pour avoir manqué à ses obligations éducatives envers les personnes autistes en vertu de la Charte sociale européenne révisée (décision annoncée en 2004) ;

– Recommandation CM/Rec(2009)9 du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur l’éducation et l’inclusion sociale des enfants et des jeunes atteints de troubles du spectre autistique, rédigée avec l’expertise d’Autisme-Europe ;

– Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, rédigée avec la participation d’Autisme-Europe (2007) ;

– Adoption de la déclaration écrite du Parlement européen en faveur d’une stratégie européenne pour l’autisme (2015) et adoption de diverses stratégies pour l’autisme dans toute l’Europe.

– Sensibilisation accrue à l’autisme dans toute l’Europe (depuis 1983)

 

RTV : L’une des choses les plus importantes pour les personnes handicapées est d’avoir un emploi : quels sont les projets destinés à améliorer l’employabilité des personnes autistes et comment cela peut-il changer à un niveau systémique dans les États membres de l’UE, par exemple ?

HN : En effet, le taux d’emploi des personnes autistes est encore très faible. Il n’existe pas de données officielles sur le taux d’emploi qui soient ventilées par type de handicap. Cependant, une enquête menée au Royaume-Uni par la National Autistic Society indique que 16% des personnes autistes travaillent à temps plein (aucun changement depuis 2007) et 16% à temps partiel. On estime que dans l’ensemble de l’Union européenne, moins de 10 % des personnes autistes ont un emploi, et qu’il s’agit le plus souvent d’emplois mal rémunérés ou exercés en milieu protégé. La plupart des personnes autistes ayant des besoins de soutien importants ne sont ni dans le système éducatif, ni dans l’emploi, ni dans la formation (NEET). En outre, elles ne sont pas comptabilisées dans les statistiques car elles vivent en institution ou dans des familles dépourvues de soutien. Le chômage touche également de manière disproportionnée les personnes autistes qui ont un niveau d’éducation générale supérieur à la moyenne, comme le montrent les recherches. Cependant, le manque d’accès à tous les niveaux d’éducation et de formation professionnelle constitue un obstacle majeur à l’accès à l’emploi. La situation est exacerbée par les préjugés des employeurs face aux personnes autistes et le manque d’accessibilité et de soutien permettant aux personnes autistes d’accéder au monde du travail et de conserver leur emploi.

Le Parlement européen a récemment débattu de la question de l’emploi des personnes autistes, qui constituent l’un des groupes les plus discriminés. Autisme-Europe appelle les décideurs à promouvoir l’accès à l’emploi des personnes autistes en coopération avec leurs organisations représentatives. Nous avons besoin de plus de données à travers l’Europe sur les taux d’emploi des personnes autistes, et nous avons besoin que les Etats membres surveillent le nombre de personnes autistes ayant un emploi et fixent des objectifs pour améliorer leur emploi.

Autisme-Europe recommande de développer des parcours d’emploi pour les personnes autistes dans une variété de domaines, avec un soutien spécialisé de bout en bout lorsque c’est nécessaire, et un suivi des résultats. Par conséquent, nous avons besoin de financement pour plus de recherche et d’investissement social dans des initiatives soutenant l’emploi des personnes autistes. Il est également nécessaire de sensibiliser au potentiel des personnes autistes, notamment en lançant des campagnes destinées aux employeurs. Il faut aussi mieux faire comprendre que les personnes autistes peuvent être performantes dans un large éventail de domaines, et pas seulement dans celui des TIC. L’administration publique devrait montrer l’exemple et multiplier les programmes d’expérience professionnelle pour les adultes autistes.

Afin d’accroître l’employabilité des personnes autistes, il est essentiel que les employeurs comprennent mieux ce dont elles peuvent avoir besoin en termes d’aménagements raisonnables et comment les entreprises peuvent adapter leurs pratiques de gestion pour être plus inclusives. Les États membres devraient également s’attaquer à la question du « piège des allocations », dans la mesure où certaines personnes autistes ne peuvent accéder à un emploi approprié sans perdre tous les avantages essentiels dont elles bénéficient.

RTV : Le format facile à lire joue un rôle important dans la participation des personnes autistes dans la société. En revanche, c’est moins connu. Dans quelle mesure les personnes autistes sont-elles exclues lorsqu’elles ne disposent que de textes en langage « standard » ?

HN: Toutes les personnes autistes n’ont pas des difficultés de compréhension de l’écrit, mais certaines d’entre elles peuvent bénéficier d’un format accessible, comme des documents faciles à lire et accompagnés de pictogrammes permettant de visualiser le sujet abordé. Cela fait partie de l’outil permettant de favoriser l’accessibilité de la communication. Pour les versions faciles à lire, nous recommandons de suivre les lignes directrices élaborées par Inclusion Europe.

RTV : Nous ne pouvons pas passer sous silence l’offensive russe en Ukraine et l’impact de la guerre sur les personnes autistes. Quelles sont les difficultés rencontrées par les autistes pendant la guerre et lorsqu’elles fuient les villes ukrainiennes ravagées par la guerre ? Avez-vous des informations sur ce qu’elles vivent depuis ces dernières semaines ?

HN : Oui, malheureusement, au moins 1% de la population est autiste, nous pouvons donc estimer que plus de 440.000 Ukrainiens sont autistes. Pourtant, nous savons qu’ils sont confrontés à un manque chronique de soutien qui est exacerbé dans le contexte actuel.

Les personnes autistes et leurs familles sont particulièrement vulnérables pendant les conflits armés. La plupart des personnes autistes ont généralement besoin de routine, de familiarité et d’un haut niveau de prévisibilité. Beaucoup d’entre elles sont exceptionnellement sensibles au bruit et à d’autres stimuli sensoriels. Les conditions stressantes et les surcharges sensorielles graves peuvent provoquer des fortes angoisses. Elles peuvent également présenter des comportements inhabituels qui peuvent être mal interprétés et les mettre en danger. De nombreuses personnes autistes ont des troubles médicaux concomitants, tels que l’épilepsie, des troubles du sommeil ou des problèmes gastro-intestinaux.

Nos partenaires en Ukraine nous ont alertés sur la situation alarmante à laquelle sont actuellement confrontés les personnes autistes et leurs familles. Les familles dont un membre est autiste ont eu plus de difficultés à quitter le pays et beaucoup sont restées en Ukraine sans aucun soutien.  Dans certains cas, les organismes d’aide humanitaire semblent négliger les personnes autistes et leurs familles, car la nature ou l’étendue du handicap n’est pas entièrement comprise. Cela peut laisser des personnes et des familles vulnérables sans accès aux canaux officiels de soutien. Les adultes autistes ukrainiens qui n’ont pas de handicap intellectuel sont généralement sous-diagnostiqués et n’ont accès à aucun service officiel de soutien ou de protection sociale. La guerre rend leur situation encore plus difficile. Les personnes autistes qui ont un handicap intellectuel et vivent dans des institutions ou des orphelinats sont coupées de leur famille et sont particulièrement vulnérables. Pour les réfugiés autistes et leurs familles, il est également très difficile d’accéder à un soutien, alors que de nombreux services en Europe sont saturés. Nous avons constaté un élan de solidarité de la part des organisations et des individus spécialisés dans le domaine de l’autisme à travers l’Europe. Cependant, nous avons besoin d’une approche coordonnée et soutenue par les autorités publiques pour accompagner les personnes autistes dans cette situation de crise.

RTV : D’autre part, les recherches montrent qu’un enfant ou un adolescent handicapé sur trois dans le monde a subi des violences au cours de sa vie, et qu’ils sont deux fois plus susceptibles de subir une forme de violence que les enfants non handicapés. Quels sont les efforts déployés pour mettre fin à la violence envers les personnes autistes, en particulier les femmes ?

En effet, Autisme-Europe cherche à sensibiliser aux questions liées à la maltraitance, ainsi qu’à fournir des lignes directrices sur la manière d’offrir un soutien et une protection contre la violence. Nous plaidons également pour la ratification de la Convention d’Istanbul contre la violence à l’égard des femmes.

Les personnes autistes ont des difficultés de communication et d’interaction sociale, ce qui signifie que leur capacité à reconnaître ou à signaler les signes potentiels d’abus peut être affectée à des degrés divers. Cela contribue à faire des personnes autistes des cibles plus faciles pour les abus et les mauvais traitements.  Parfois, les personnes autistes peuvent également devenir la cible de crimes haineux.

Une tendance générale à l’obéissance excessive est un autre facteur qui peut augmenter les chances qu’une personne autiste soit victime de mauvais traitements à un moment donné de sa vie. Nous apprenons aux enfants, dès leur plus jeune âge, à se conformer à leurs parents et aux autres adultes, mais il existe des « zones floues » au sein de ces règles qui peuvent être déroutantes pour certaines personnes autistes.

Dans certains cas, le manque de connaissances sur l’autisme peut amener les personnes autistes à subir de mauvais traitements, même si l’intention d’infliger de mauvais traitements n’est pas présente. Par exemple, les personnes autistes peuvent être victimes de « remèdes », de thérapies et d’interventions non éthiques et non fondées sur la preuve de la part de professionnels non formés, voire de membres de la famille ayant de bonnes intentions. Ces thérapies sont inefficaces, et parfois même très dangereuses pour la personne autiste. Elles privent également les personnes autistes d’un soutien adéquat qui leur permettrait de développer leur potentiel. C’est pourquoi Autisme-Europe soutient activement l’accès aux informations fondées sur la preuve, ainsi que l’accès aux interventions basées sur les droits.

RTV : Des développements positifs ont lieu en Europe pour assurer la transition des institutions vers les soins de proximité, mais quels sont les objectifs à atteindre pour les personnes autistes ?

HN : En Europe, il existe un manque de services adaptés pour les soutenir dans la communauté car la ségrégation (en institution ou en hôpital psychiatrique) reste un problème. Indépendamment de leurs besoins de soutien, toutes les personnes autistes ont le droit de vivre de manière aussi indépendante que possible et d’être incluses dans la communauté en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Recevoir un soutien approprié est essentiel pour permettre aux personnes autistes de vivre une vie indépendante et épanouie, et d’être intégrées dans la communauté.

En revanche, le manque de soutien conduit souvent les personnes autistes à vivre dans l’isolement et/ou à dépendre fortement de leur famille. Dans certaines régions d’Europe, de nombreuses personnes autistes sont contraintes de vivre dans de grandes institutions résidentielles où elles ne peuvent pas sortir ni même quitter leur lit, privées de leurs droits fondamentaux et victimes de négligence et/ou d’abus.

Autisme-Europe défend la désinstitutionnalisation et le droit à un logement et à un accompagnement de vie adaptés à leurs besoins individuels, ainsi que le droit des personnes autistes à choisir leurs propres conditions de vie.

Nous sommes membres du groupe d’experts européens sur la transition de l’accompagnement institutionnel vers l’accompagnement communautaire (EEG) et défendons le droit à un logement et à un accompagnement de vie adaptés et appropriés à leurs besoins, conformément à la CNUDPH.

RTV : Cette année, la devise de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme est « La vie : un voyage heureux ». Quels sont les événements et les projets qui entourent cette devise et qu’est-ce qui doit changer pour promouvoir une vie heureuse et épanouie pour les personnes autistes et leurs familles ?

HN: Beaucoup de nos membres ont prévu des activités de sensibilisation au niveau national, régional et local. La campagne sera aussi activement soutenue en ligne. Tout au long de la campagne, nous mettrons en lumière les besoins des personnes autistes par rapport à diverses priorités politiques, aux niveaux européen, national, régional et local. AE et ses membres sensibiliseront à diverses questions telles que l’accès à la capacité juridique et à l’autodétermination, le soutien à la vie indépendante, l’éducation, la santé, l’emploi et l’accès aux services de soutien dans la communauté. Au niveau de l’UE, veiller à ce que la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie pour les droits des personnes handicapées 2021-2030 et le plan d’action du Socle européen des droits sociaux prennent en compte les besoins des personnes autistes sera au cœur de notre plaidoyer. Vous trouverez plus d’informations sur nos principales demandes politiques dans notre manifeste.

Reproduction de l’article original publié dans RTV Slovenija le 5 avril.