Je pense qu’il est positif de faire quelque chose pour les autres et le DJ-ing a eu un impact.
Ce mois-ci, Autisme-Europe a interviewé sur Skype Peter Harvey, un DJ autiste résidant à Bruxelles. Dans l’interview, le DJ répond à des questions sur sa carrière musicale, les mesures de confinement à Bruxelles en raison du COVID-19 et les défis auxquels les personnes autistes sont confrontées dans toute l’Europe.
Autisme-Europe : Bonjour, quel est votre nom ? D’où venez-vous ?
Pierre Harvey : Mon nom de DJ est « Pierre Harvey » en français, qui est « Peter Harvey » en anglais bien sûr. Je viens de Belgique, de Bruxelles. Je suis un « Bruxellois ».
AE : Quels étaient vos sentiments sur le lock down qui a commencé en mars 2020 et qui se termine lentement ?
PH : Je l’ai trouvé un peu dérangeant au début. Pour être honnête, ce n’est pas une chose facile à gérer. L’impact du confinement a commencé par des restrictions telles que ne pas voir ses amis et être coincé à la maison chaque soir. Je comprends que toutes ces mesures sont prises pour des raisons de santé et, à présent, je suis un peu habitué à la nouvelle « normalité », comme le fait d’être seul et de ne pas sortir. Mais j’essaie vraiment de garder mes mains occupées et j’essaie de communiquer avec les autres via mes appareils, par exemple avec mon smartphone pour parler à mes amis. Des choses simples comme dire « bonjour » à des étrangers dans la rue qui sont dans ce nouvel état d’esprit social et amical dû à la crise, c’est en fait très amusant !
AE : Tous ceux qui n’étaient pas des employés essentiels devaient rester à la maison, sauf pour aller au supermarché ou à la pharmacie, etc., mais vous faisiez votre DJ set sur votre balcon tous les soirs, ce qui se passait très bien avec les voisins… pourquoi avez-vous commencé à faire cela ?
PH : Cette idée est venue d’Italie, en applaudissant tout le personnel médical qui travaillait dur. C’est pour les remercier de tout ce qu’ils font en applaudissant et en jouant de la musique tous les soirs à 20 heures. Les voisins d’en face avaient commencé à mettre de la musique tout doucement. Il y a eu un moment où je me suis dit : « Je vais installer mon système de sonorisation, ainsi tout le monde entendra mieux la musique». C’est ce que j’ai fait. J’ai installé tout mon matériel sur mon balcon. Vous devez savoir que je suis avant tout un batteur, car vous pouvez voir la batterie derrière moi. C’est depuis le confinement que j’ai commencé à faire le « DJ». J’ai un réel intérêt pour la musique, c’est pourquoi j’ai du matériel. Je fais partie d’un groupe avec des amis et nous nous appelons « Les Smileys ». Le groupe compte quatre membres, nous sommes relativement nouveaux, et un de mes amis dans le groupe m’a demandé de faire une annonce à notre sujet. En fait, nous cherchons un guitariste pour rejoindre le groupe.
AE : Avez-vous eu des retours de voisins qui ont écouté votre DJ-set pendant le lock down ?
PH : Oui, j’ai eu des retours de mes voisins sous forme de petits mots glissés dans ma boîte aux lettres avec des messages de remerciement et d’autres messages positifs. Ce qu’ils apprécient surtout c’est mon enthousiame. Nous avons créé un groupe « WhatsApp » pour les voisins que j’ai nommé « Lannoy Land », Lannoy étant le nom de ma rue. J’ai fait le DJ-set non-stop tous les jours de 19h45 à 20h15 pendant les 2 mois du confinement j’aime vraiment ça même si c’est assez fatigant. A partir du 11 mai, j’ai proposé de le faire une fois par semaine, ainsi j’ai le temps de préparer un meilleur set sur le groupe WhatsApp, les voisins ont choisi le vendredi soir. Il y a aussi un public qui vient écouter depuis la rue et surtout danser car j’essaie toujours de mettre de la musique entrainante.
AE : Y a-t-il des aspects positifs au confinement ?
PH : Eh bien, je pense qu’il est positif de faire quelque chose pour les autres et le DJ-ing a eu un impact. Maintenant, tous les voisins se parlent alors que nous ne nous connaissons généralement pas, nous ne nous parlions jamais vraiment et pourtant, tout d’un coup, nous nous parlons.
« Un de mes voisins me dit maintenant souvent « merci » […] Je pense qu’il est très positif de connaître les gens de sa rue pour former un sentiment de solidarité. »
Je gère le groupe whatsapp où il y a eu une demande d’anniversaire d’un voisin. Ce jour-là, j’ai joué la chanson « happy birthday ! » et un autre voisin a préparé un gâteau d’anniversaire et l’a déposé devant la porte du voisin qui fêtait son anniversaire.
Pierre montre un t-shirt ironique qu’il a reçu en cadeau d’un voisin, qu’il porte lorsqu’il fait son DJ-set sur le balcon avec le jeu de mots « Frites from Desire ». Il s’agit d’une référence au nom de la chanson dance/house des années 1990 « Freed from Desire » de l’artiste « Gala », mais bien sûr, elle fait référence aux « frites », symbole de Bruxelles et de l’identité nationale belge. C’est la chanson que le DJ Peter Harvey passe toujours en dernier et qui est accompagnée d’une chorégraphie inventée sur les balcons
AE : Quels ont été pour vous les aspects les plus difficiles du confinement?
PH : Tout d’abord, j’ai senti que j’étais tout seul mais je voulais montrer que je pouvais être sociable et donner de la joie et de la bonne humeur aux autres. Pendant le confinement, j’ai réalisé l’importance d’avoir des amis. Normalement, nous ne pensons pas comme ça parce que nous sommes trop préoccupés par d’autres choses. Cependant, il est essentiel d’avoir des amis, car certaines personnes n’ont pas d’amis et même si elles en ont, ils ne sont pas nécessairement leurs « vrais » amis. Les « vrais » amis montrent leur vrai visage dans les moments difficiles.
AE : Vous faites du DJ-ing depuis de nombreuses années, comment avez-vous commencé à faire du DJ-ing ?
PH : Je n’ai jamais fait de DJ-ing avant le confinement, j’ai seulement pensé à faire du DJ-ing lorsque le confinement a commencé. J’ai complètement improvisé. Je me suis inspiré de vidéos vues sur Internet et je fais aussi du bruitage, inspiré du beatbox
AE : Qui est votre modèle de DJ-ing ?
PH : Je dirais qu’il y a un certain nombre de DJs extraordinaires. Il s’agit de DJ tels que David Guetta, AVICII, et il y a un autre DJ du Royaume-Uni appelé « AFISHAL » qui a un set cool en utilisant des baguettes sur une batterie électronique qui produit des sons variés.
AE : Quels sont, selon vous, vos points forts en matière de DJ ?
PH : Je suis capable d’improviser, j’ai un bon sens de l’humour et beaucoup d’énergie. Il y a beaucoup d’émotion dans la musique que je choisis. J’ai aussi un bon sens du rythme, que j’exploite en jouant de la batterie et des percussions. J’aime aussi beaucoup danser et je le fais chaque fois que je le peux. Après mon DJ set, nous avons eu parfois des musiciens qui sont venus jouer ou chanter dans la rue. Avant, je restais sur le balcon avec les musiciens en dessous de moi. Je descendais les câbles et les musiciens branchaient leurs instruments. Nous avons eu une vraie chanteuse et j’ai pris plaisir à improviser avec elle. Quand la chanteuse a commencé à chanter et à jouer de la guitare, j’ai eu l’idée de faire correspondre le son avec mon cajòn (percussion). J’ai accompagné la chanteuse avec cet instrument, et cela allait bien avec le rythme. Cela sonnait bien, les gens ont vraiment apprécié et c’était spontané. Je dirais aussi que mon enthousiasme est une force car les voisins me remercient pour mon enthousiasme, je mets toujours de la musique gaie sur laquelle on peut danser.
AE : Est-ce que jouer dans les grands festivals internationaux d’été serait une chose à laquelle vous travailleriez ?
PH : Je ne suis pas DJ pour cela, mais pour partager et relier les gens entre eux, ce qui est le but d’un DJ en confinement selon moi. Je n’ai pas d’équipement de DJ sérieux, mais je dispose d’un ampli, de deux haut-parleurs et d’un micro, de pistes de danse de base et c’est tout. C’est un peu embêtant à utiliser mais je peux quand même faire du DJ avec cet équipement. Je pense que ma formation de chef scouts m’a aussi appris à improviser et à parler à un groupe.
AE : Lorsque vous étiez étudiant à l’école, jouiez-vous d’un instrument ou chantiez-vous ?
PH : J’ai commencé des cours de rythmique quand j’avais 5 ans puis j’ai choisi d’apprendre la batterie, puis le djembé. J’ai d’ailleurs 2 batteries chez moi, une acoustique et une électrique.
AE : Il y a beaucoup de musiciens et d’artistes autistes, quels conseils aimeriez-vous donner aux personnes autistes qui veulent faire quelque chose comme ça et qui ne savent pas comment s’y prendre ?
PH : Il existe maintenant un certain nombre de vidéos informatives disponibles en ligne qui vous permettent d’apprendre un instrument dans le confort de votre propre maison. Je peux donner des conseils, je suis là pour ça aussi car j’ai développé une connaissance de la musique. Je connais beaucoup de percussions (batterie, djembé, cajòn, balafon, doumdouba).
AE : L’accès aux soins de santé, au logement, à l’éducation et à un emploi approprié sont de véritables défis pour les personnes autistes en général dans les sociétés européennes. Quel domaine requiert le plus d’attention à votre avis ?
PH : Le logement devrait faire l’objet d’une plus grande attention car tout le monde a besoin d’un abri, on ne peut pas faire grand-chose sans avoir un toit au-dessus de la tête. En outre, une attention particulière devrait être accordée à l’emploi, surtout près de chez soi, que vous soyez autiste ou non, c’est vital pour tout le monde dans la société. Je sais que les personnes autistes ont des capacités accrues dans des domaines spécifiques, qui pourraient être utiles pour trouver un emploi. Personnellement j’aime beaucoup l’informatique, je suis des cours en maintenance informatique et j’aimerais trouver un travail dans ce domaine. Cependant, je pense que le monde du travail est plus difficile à intégrer parce que l’on s’intéresse beaucoup aux enfants autistes mais pas beaucoup aux adultes. Il n’y a pas beaucoup de soutien pour les adultes autistes. Ma mère travaille comme « job coach » pour Passwerk, une société de testing de logiciels qui embauche uniquement des personnes autistes. Elle peut expliquer l’importance de l’emploi pour les adultes autistes comme moi.
Remerciements particuliers à Pierre (à sa mère) qui ont réalisé cette interview en ligne lors du confinement en mai 2020